Éditos
Jamais dans l’histoire de l’humanité, autant d’informations n’ont été produites, échangées et consignées qu’aujourd’hui. Mais cet avènement de la « société d’information » se solde aussi par l’apparition de phénomènes massifs de désinformation. Il revient aux sciences sociales de nous aider à y voir plus clair dans cette profusion d’informations qui sont gages tout autant d’émancipation collective que de notre possible asservissement.
Mis à jour le 19/06/2025
S'informer, vraiment ?!
Par Cécile Van den Avenne et Cyril Lemieux, co-présidents du comité éditorial de l'édition 2025
On tient généralement pour acquis qu’en ce début de 21e siècle, nous vivons dans des « sociétés d’information ». Mais que faut-il entendre par là ? D’abord, sans doute, que l’information est devenue notre quotidien : information qui nous vient des autres et du monde entier, quasi instantanément, grâce au développement sans précédent des médias, des appareils connectés et d’Internet, mais aussi, et tout autant, information sur nous-mêmes, que des pouvoirs étatiques et économiques récupèrent et consignent avec une capacité de contrôle elle-aussi inédite. La « société d’information », à cet égard, nous place face à ses enjeux politiques, et ils se révèlent colossaux. Car s’il est vrai que la démocratie a pour condition une information libre, plurielle et fiable et des institutions qui sachent rendre des comptes, force est de constater qu’une telle condition est aujourd’hui de plus en plus mise à mal à travers le monde, en raison d’entreprises massives de désinformation, du manque de transparence de certains pouvoirs et de la circulation intensive des fake news. La multiplication des informations, qui était censée permettre notre émancipation collective, tend alors à muer en un moyen de nous asservir. Que peuvent nous aider à comprendre à ce sujet les sciences sociales ? Quelles perspectives nous conduisent-elles à envisager, à partir du regard qu’elles portent tant sur les sociétés du passé que sur celles du présent, en Europe aussi bien que dans les autres régions du monde ? L’ambition de cette nouvelle édition du festival « Allez savoir ! » est de nous le faire découvrir.
L'avenir de nos démocraties
Par Romain Huret, Président de l'EHESS
Au XVIIIe siècle, l’entrée dans la modernité politique a donné naissance à un espace public démocratique au sein duquel l’information joue un rôle essentiel. Aux États-Unis, on parle même de « quatrième pouvoir » pour évoquer l’essentielle liberté d’informer et sa place au cœur de la démocratie. L’essor des médias a eu pour corollaire un développement des savoirs et des sciences sociales. Longtemps, le mariage entre information et science a fonctionné au mieux, et confirmé l’espoir des révolutionnaires de créer un citoyen éclairé capable de distinguer le bon grain de l’ivraie.
En choisissant l’information comme thématique de la sixième édition du festival de l’EHESS, j’avais en tête moins la réussite du modèle passé que la crise actuelle dans la fabrication de l’information. Grand penseur de l’espace public et de la démocratie délibérative, le philosophe Jürgen Habermas a récemment réfléchi sur la crise de ce modèle et ses délétères conséquences dans nos vies. Nous sommes confrontés chaque jour à un éclatement des sources d’information, une multiplicité des points de vue et une difficulté à hiérarchiser et à intégrer les flux permanents. La fatigue médiatique est telle que certains décident même de couper les robinets de l’information pour se préserver.
Pendant quatre jours, nous allons ouvrir à nouveau ces robinets pour entendre des chercheuses et des chercheurs en sciences sociales. Avec Benoit Payan, maire de Marseille, avec ses formidables équipes, l’EHESS a concocté un très beau programme permettant à des centaines de lycéennes et de lycéens, ainsi qu’à des milliers de personnes, de réfléchir à l’information aujourd’hui. À travers elle, c’est l’avenir de nos démocraties que nous interrogeons, et nous le ferons ensemble pendant quatre jours.
Bon festival à toutes et tous !
Savoir, c'est déjà résister
Par Benoît Payan, Maire de Marseille
À Marseille, carrefour des paroles et des cultures, les vérités circulent, s’entrechoquent et parfois s’affrontent. Ici, l’information prend un sens particulier. L’accélération des flux d’information soumet la société tout entière à une quantité inédite de contenus, sans toujours disposer des repères nécessaires pour les interpréter.
L’information, aujourd’hui, est mise à l’épreuve par le défi de la désinformation. Dans ce contexte, la responsabilité du lecteur grandit : il lui revient de faire la part du vrai et du faux, de questionner la source autant que le message.
Cela interroge notre capacité collective à comprendre le monde. Parce que dans ce flux permanent, il devient difficile de distinguer ce qui est démontré, construit, argumenté, de ce qui est simplement répété, amplifié ou instrumentalisé. Le savoir, dans ce contexte, devient un acte de vigilance et une exigence de méthode.
Lecteurs, journalistes, élus, enseignants. Tous doivent redoubler d’effort pour s’informer. Et ce sont les chercheurs, les scientifiques, qui nous aident à poser les fondations de cette exigence. Par leur travail patient, par la précision de leur analyse, ils permettent à la vérité de se frayer un chemin. Ce sont les chiffres, et surtout leur interprétation éclairée, qui nous permettent de déceler le réel dans le chaos apparent.
C’est pourquoi je suis fier d’accueillir pour sa 6e édition le festival Allez Savoir, qui revient avec la même ambition : faire vivre la pensée critique, encourager le dialogue et ouvrir les savoirs à toutes et tous, cette année sur le thème « Informer, s’informer, déformer ».
Je souhaite ici remercier celles et ceux qui rendent l’évènement possible : les chercheuses et chercheurs, les équipes de l’EHESS, les organisateurs, les bénévoles, les partenaires. Grâce à vous, Marseille devient un lieu de réflexion partagée, de confrontation intellectuelle et d’intelligence collective.
Ce festival est un élan démocratique, un geste qui aide les citoyens à penser par eux-mêmes, à comprendre le monde, à refuser les dogmes et les simplismes. Prenez le temps d’écouter, de douter, de vous étonner. Prenez le temps de savoir, car savoir, c’est déjà résister.