Ragots et rumeurs, Julien Bonhomme
Article Encyclopædia Universalis
Julien Bonhomme, 2018 « Ragots et rumeurs », Encyclopædia Universalis
Mis à jour le 7/9/25
Loin de se réduire à un bavardage insignifiant, les ragots, potins, commérages et autres rumeurs sont des genres de discours qui jouent un rôle important dans toutes les sociétés. Max Gluckman a mis en lumière leur fonction sociale : échanger des potins réaffirme les valeurs collectives, renforce la cohésion entre les participants et exerce un contrôle social informel en dénigrant les comportements déviants. Si la pression exercée par le commérage est forte au sein des groupes d’interconnaissance, elle diminue quand les relations se font plus anonymes et impersonnelles. Critiquant l’explication fonctionnaliste des ragots, Robert Paine souligne qu’il s’agit de discours instrumentaux au service d’individus ou de factions en compétition : faire courir une rumeur à propos d’un rival permet de ternir sa réputation tout en évitant la confrontation directe avec lui. C’est une forme de gestion stratégique de l’information que les individus échangent les uns sur les autres. Comme l’a montré Karen Brison à partir d’une étude de terrain en Papouasie-Nouvelle-Guinée, la politique locale est d’autant plus influencée par les rumeurs que le pouvoir est instable et la compétition ouverte. Dans d’autres situations, les rumeurs serviront plutôt d’« arme des faibles » selon la formule de James Scott : elles permettent à ceux qui n’ont pas voix au chapitre en public de critiquer par des moyens détournés les dominants et leur domination. L’incidence des rumeurs varie ainsi selon les contextes socioculturels. Selon les cas, les ragots pourront rester sans conséquence ou bien mener à un conflit ouvert, faire éclater un scandale public ou entraîner des sanctions.