Fausses rumeurs ? Ethique et épistémologie de la vérité, Julien Bonhomme
Article de revue
Julien Bonhomme, 2019 « Fausses rumeurs ? Éthique et épistémologie de la vérité », Monde commun. Des anthropologues dans la cité, n° 2, p. 164-179
Mis à jour le 09/07/2025
Comment penser les rumeurs en sciences sociales ? Cet article propose quelques pistes de réflexion tirées d’une recherche sur une série de rumeurs qui ont circulé en Afrique au cours des dernières décennies. Des inconnus feraient rétrécir ou disparaître le sexe de quidams à la faveur d’un simple frôlement ou d’une poignée de mains dans la rue. Certains numéros de téléphone portable tueraient ceux qui répondent à l’appel. Des personnes seraient décédées après avoir reçu une offrande de la part d’un inconnu au volant d’un 4 x 4. D’autres seraient mortes après qu’une femme s’est présentée chez eux pour leur demander un verre d’eau. Une vieille femme arpenterait les rues pour se jeter sur les passants et les mordre au cou, tel un vampire. Essentiellement urbaines, ces rumeurs possèdent une large aire de diffusion et reviennent souvent de manière sporadique. Apparue au Nigeria dans les années 1970, celle des voleurs de sexe a circulé à de nombreuses reprises dans toute l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale depuis les années 1990. Née au Nigeria au milieu des années 2000, celle des numéros tueurs a elle aussi circulé sur la majeure partie du continent (mais également en Asie). Plus récente, la rumeur de l’offrande de la mort a touché le Sénégal et la Gambie au début des années 2010. Celle de la tueuse au verre d’eau a circulé à plusieurs reprises en Afrique centrale depuis le milieu des années 1980. Enfin, celle de la femme vampire a touché le Sénégal au début des années 1990. Souvent comparées les unes aux autres, ces histoires relèvent d’un même genre narratif et mettent en scène des dangers liés à des rencontres avec des inconnus dans l’espace urbain (ou à l’anonymat technologique dans le cas des numéros de téléphone tueurs). Elles circulent par le bouche-à-oreille, mais aussi beaucoup à travers les médias. Elles suscitent en outre des incidents : des gens sont accusés d’être des voleurs de sexe, de distribuer des offrandes mortelles ou sont pris pour la femme tueuse ; il arrive qu’ils soient lynchés par la foule. C’est pourquoi on peut les qualifier de rumeurs accusatoires.