Les archives sont bien souvent interrogées pour le temps qu’elles permettent de saisir. Témoins de situations données à un temps donné, la consultation et l’interprétation des archives sont largement mobilisées dans l'ensemble des sciences humaines et sociales comme dans la société (chercheurs, journalistes ou auteurs, généalogistes, etc.). Lorsque nous suivons les célèbres déambulations d'Arlette Farge (Farge, 1989) en salle de lecture d'archives, il est saisissant de lire comment se ressentent ces temps du passé à travers les informations archivées. Ainsi une fois archivé, le temps semble pouvoir se figer. La conservation des archives historiques est par nature conçue pour un temps qui se veut infini et qui tend à être perçu comme immobile.
Si l'impression et la sensation demeurent, les complexes réalités des vies des archives, « résultat[s] d’un processus interrompu d’altération temporelle » (Anheim, 2019), ont fait l'objet de réflexions qui bénéficient d'une dynamique nouvelle. La Revue de Synthèse faisait état en 2004 de la vie de ces "documents" avant qu’ils ne deviennent archives (Anheim, 2004) et notait combien « la "mise en archives" des documents [est une] opération à part entière qui bouleverse les logiques documentaires pour en créer d’autres » (Anheim et Poncet, 2004). En 2015 Yann Potin démontrait que le temps du classement du fonds Georges Duby à l'institut Mémoire de l’édition contemporaine (IMEC) agissait sur la perception générale du fonds de l'historien (Potin, 2015). Encore relancée dans un numéro double des Annales en 2019, la question des archives et des temps qu'elles emportent dans leur sillage prend encore de l’envergure (Poncet, 2019).
La table ronde permettra le croisement des points de vue de chercheurs et d’archivistes sur les temporalités dont témoignent les archives, de l’écriture d’un document à l’époque médiévale à la collecte d’archives courantes au XXIe siècle. À la fois acteurs dans le processus de fabrication des fonds et acteurs dans la restitution des temps dont les fonds sont les témoins, archivistes et chercheurs articulent leurs savoir-faire autour des mêmes questions : qu’est-ce qu’un document d'archives et de quoi parle-t-il ? Qui agit sur les archives ? À quel moment ? Comment analyser le contenu d’un document sans perdre de vue les potentiels effets de son processus d’archivage sur sa compréhension ? Comment collecte-t-on et classe-t-on des archives (y compris numériques) en ayant à l'esprit les effets de ces actions sur la lisibilité des documents ? Plusieurs axes de discussions possibles se dégagent ainsi :
- Temps de l'écriture du document et temps de la recherche : distance et proximité
Les archives ont cette capacité de faire croire au passé : la distance temporelle qui sépare le lecteur d’archives du contexte de l’écriture du document a tendance à s’échapper dès lors que l’on se plonge dans les écritures du passé. Quels effets a cette impression sur nos écrits, nos analyses des documents ? Cœur de la méthode historienne comme de la méthode archivistique, le fait de situer l’information dans son contexte de production ne permet pas pour autant de situer le document dans son histoire : quels rôles peuvent ou doivent avoir l'ensemble des acteurs des archives dans cette double temporalité des archives ?
- Temps et contre-temps, usages et contre-usages des archives
Le temps de l’écriture des documents est un temps court, un temps utilitaire : il est nécessaire d’écrire tel rapport, de dresser telle synthèse, de recevoir tel courrier. À ce temps s’adosse celui d’un premier rangement, un premier classement, pour un usage secondaire : il est nécessaire de pouvoir retrouver telle information. S'ensuit finalement le temps d’un deuxième rangement, un re-classement, une mise en archives pour un usage subsidiaire : l’histoire.
La succession de ces temporalités, leur entremêlement bien souvent, participe du décalage entre le temps de l’écriture du document et celui de son exploitation en tant que témoignage historique.
Impossible de ne pas questionner également les entre-temps, ces moments plus ou moins prévisibles ou aléatoires qui comprennent les pertes, les conflits, les oublis, les redécouvertes ou l’investissement symbolique qui, dans la vie des archives, rythment et ponctuent la fabrique des fonds.
- Le temps infini des archives
Les archives enfin, sont le lieu de l’infini dans le temps : on ne finit jamais d’en produire, on ne finit jamais de les conserver, on ne finit jamais d’en détruire. Comment le temps agit sur nos choix de conservation ? Les fonds d’archives sont le fruit d’un contexte de production et également celui d’un contexte d’élimination, de sélection au présent des archives du passé pour les usages du futur.
Ces différents axes seront nourris par trois intervenant.es dont les fonctions et les usages des archives permettront d’alterner et d’enrichir les points de vue. Nos invités franchissent ainsi allégrement les frontières des professions de chercheurs et d’archivistes, explorent des rôles dans la fabrique des fonds d’archives qu’ils découvrent en même temps qu’ils les jouent :
- Olivier Poncet, historien et archiviste, professeur à l’École nationale des Chartes et directeur d’étude à l’EHESS, porte sur les archives le regard de celui qui les consulte, les exploite, les publie, mais également de celui de l’archiviste qui les sélectionne et les classe ;
- Emmanuel Szurek, historien et acteur dans la fabrique du fonds Basset-Denys, pourra non seulement intervenir sur sa perception des fonds d'archives en tant que lecteur mais également sur le rôle central qu’il a tenu dans la fabrique du fonds Basset-Deny (entré à l'EHESS en 2016-2019) et des rapports qu’il a ainsi noué avec un fonds,
- A confirmer : Cécile Fabris, (conservatrice AN-Decas) / Marie-Anne Chabin (conservatrice, autrice, chargée d’enseignement à l’Université de Paris 8
- Marine Coquet, archiviste de l'EHESS et docteure en histoire contemporaine, se propose de modérer cette table ronde.
Réunissant deux professions qui à la fois partagent une longue tradition de dialogue et se sont éloignées au profit de la spécialisation de leurs compétences ces dernières décennies (Galland, 2006), cette table ronde s’adresse avant tout à tous les publics d’archives : chercheurs, chercheuses mais également étudiant.es et doctorant.es, passionnés, généalogistes, etc.